Expositions

Création musicale pour l’exposition «Maths et  et Arts»

Création musicale pour l’exposition et le livre: «paysages, paysans»

Avant de se « dépayser » au bout du monde, il faudrait sans doute se « payser » ou se « repayser ». Ou bien se dire que le dépaysement est ici, près de chez nous, à notre porte et qu’il s’agit simplement de voir et d’entendre. C’est ce que nous propose Ryc’ho Ryszard Swierad et Maurice Spitz à l’occasion de cette exposition « paysages, paysans ». Ce n’est pas le Voyage autour de ma chambre, mais un Voyage près de chez nous auquel nous invitent ces deux artistes. Car le proche est parfois Terra incognita.

Ryc’ho est un artiste polonais, demeurant et travaillant à Nantes depuis 1990. Il se qualifie lui-même d’imagiste, « faiseur d’images ». Il combine et travaille des éléments visuels provenant de différentes sources (photographie, peinture, numérique...) pour produire une création originale et autonome, d’une force et d’une beauté plastique étonnantes. Dans le travail présenté ici sont convoqués (mais comme une douce réminiscence en forme de palimpseste) aussi bien Rembrandt ou les Frères Le Nain que le mouvement

Blaue Reiter ou le catalan Antoni Tàpies.


Maurice Spitz, alsacien ayant adopté la Vendée, est un musicien voyageur, intuitif et improvisateur, avec un goût prononcé pour les instruments rares. Il est ici à la fois compositeur, preneur ou plutôt capteur de sons et metteur en scène sonore.

Le résultat de son travail : une symphonie pastorale surprenante et décalée où se mêlent le Carnaval des animaux, les bruits et chuchotements du monde, la liberté du jazz et le parfum des musiques du monde.


C’est avec un regard neuf, attentionné, plein de respect et d’empathie, que ces deux artistes ont abordé ce monde rural et ceux qui le peuplent : hommes, animaux, végétaux, c’est-à-dire tout ce qui fait le vivant, notre bien commun. Ensemble, ils nous disent que le paysage tout entier (un lieu et ses habitants) est truffé de « romans virtuels » et qu’à ce titre il mérite d’être visité avec des yeux neufs, non seulement par acquit de conscience, mais surtout parce qu’un puissant écho de vérité émerge de ce territoire.

Ces lieux, avec leurs grands et petits récits, leurs simples bulles ou leurs grands vents, nous disent et nous parlent. Et ce que l’artiste nous montre dans l’étendue du paysage, c’est une histoire de traces dont le présent serait l’affleurement.

Le présent, en effet, finit toujours par apparaître comme l’espace infini où remontent lentement les traces lointaines de sa formation. Quelle que soit la puissance d’effacement du temps, rien de ce qui a été ne s’évapore entièrement et il y a, pour les signes et les traces, un équivalent de ce que pour les graines et les semences on nomme en agronomie la dormance – autrement dit une capacité d’éveil et de réveil qui se maintient en traversant le temps. Et c’est bien ce que nous révèlent nos deux artistes. Sur les lisières endormies de l’inconscient collectif et le long de toute une série de gestes de la civilisation agraire, une sorte de très vague mémoire a pu se maintenir : légendaire, fruste, rétive, elle a les allures d’un chantonnement à peine articulé. Cette petite musique est comme un témoin passé d’âge en âge, et, pour peu que des artistes nous la révèlent, on l’entend. Plus que des souvenirs du monde, ce qu’ils nous laissent percevoir c’est ce qui subsiste derrière le quasi- effacement et l’oubli : la puissance d’un éternel commencement.

Il y a des lieux, et ce coin de bocage vendéen pourrait en faire partie, qui semblent résister à la possibilité ou même au désir de figurer au tableau prétentieux des « hauts-lieux », préférant rester dans un anonymat proche du « non-lieu ».

Mais le non-lieu est un faux concept inutilement disqualifiant qui, à cause justement de son invisibilité, nous donne envie d’y pénétrer. Et, par le biais de leur travail, nos deux artistes nous donnent les clefs pour s’y aventurer et s’y perdre, pour mieux renouer avec notre généalogie.

Comme les animaux, nos paysans font partie du paysage qu’ils ont construit et modelé. Ils en sont non seulement les signes mais

‍ aussi les agents : prairies et prés de fauche séparés par le linéaire végétal du bocage, ponctuation, en saison, des balles de paille ou de foin, et jusqu’à ces lignes parfaites des sillons parallèles à la pente.

A leur manière aussi, directement ou indirectement, vaches, moutons, chèvres fabriquent le paysage et semblent habiter placidement leur œuvre, qui est aussi ce qui les nourrit. S’ensuit, dans l’imaginaire commun, une forme vague d’empathie pastorale qu’il est temps de raviver, non d’une façon mièvre et édulcorée, mais dans sa réalité brute pourtant chargée de poésie.

Et peut-être pourrons-nous alors réintégrer le vivant, sous toutes ses formes, dans ses habits de nature ; et regarder tout autrement le monde qui nous entoure, en commençant justement par les champs, les prairies, les troupeaux et les basses-cours. Sans oublier les hommes qui en sont les gardiens tenaces et vigilants, car le paysan fait et façonne le paysage comme l’artiste fait et façonne son œuvre, dans une abstraction ou un réalisme magique et merveilleux.

Avec l’exposition consacrée à Ryc’ho Ryszard Swierad et Maurice Spitz, ce précieux livre-objet, fruit de leur rencontre avec cette terre et ceux qui la travaillent et la font vivre pour nous nourrir, gardera, comme un reliquaire, la trace de ce monde sensible où le végétal, l’animal et l’humain se côtoient et tissent des liens depuis des temps immémoriaux. Une œuvre en forme d’hommage donc, rendu par nos deux artistes aux oubliés essentiels.


Philippe Roy – Juin 2020

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Vernissage à l’Echiquier Pouzauges 85700 Le 27 octobre 2020

Livre d’artistes